Watilliaux, éditeur antisémite et raciste ?

Dis-moi ce que tu édites, je te dirai qui tu es....Peut-on connaître la personnalité d'un éditeur à partir des jeux qu'il produit?  Nous avons si peu de connaissances biographiques sur les principaux éditeurs de jeux du XIXème siècle qu'il est bien présomptueux de vouloir  chercher un lien entre leurs productions et leurs personnalités. Nous ferons toutefois une exception avec Charles Watilliaux dont J-M Lhôte auteur d'une très connue "Histoire des Jeux de Société" voit de l'antésimétisme dans ce jeu du "tir aux bonshommes" :

Cette cible de tir dessinée par le très prolifique Bernard Coudert est composée de personnages qu'il faut abattre avec la flèche d'un pistolet...Chaque réussite rapporte un certain nombre de points au tireur.

Une cible raciste, selon JM Lhôte car abattre le juif rapporte 40 points, 5 seulement pour le "français". C'est peut-être un jugement rapide, car c'est le centre de la cible soit un clown qui rapporte le plus et que l'on vise,  la valeur des autres personnages décroissant lorsque l'on s'en écarte... Zouave, "sauvage", asiatique,  Arlequin, Polichinelle , artiste de cirque, auraient consciemment été placés et cotés en fonction du plaisir que l'on aurait à les dégommer ? A chacun d'en juger...   

JM Lhôte cite un autre jeu également édité par Watilliaux, il s'agit de "l'équipage décimé" , un casse-tête  problème que nous avons déjà présenté  

L'on dispose de 16 pions blancs et de 16 pions noirs. Les pions sont disposés sur un seul rang dans un certain ordre, et en comptant à partir de la gauche le dixième pion est retiré. Ainsi fait-on pour le dixième pion de chaque dizaine. Arrivé au bout du rang l'on recommence à partir de la gauche en continuant le comptage de 10 en 10, et ceci  jusqu'à avoir sorti 16 pions. Le problème consiste à disposer les pions dans le rang de telle sorte que les pions sortis soient tous de même couleur. Watilliaux n'a sans doute pas inventé ce problème mais comme à son habitude il en a fait une transposition et les pions sont devenus des marins, 16 de race blanche et 16 de race noire. Il ne s'agit pas d'un navire négrier, ce sont tous des membres de l'équipage, mais  il faut éliminer la moitié d'entre eux :

 Watilliaux laisse avec humour le capitaine du bateau, qui est "blanc et français, par conséquent né malin" le soin d'opérer cette décimation. Le capitaine choisit de garder les marins de sa race, qui aurait fait autrement?

Pions blancs contre pions noirs, c'est le lot commun de beaucoup de jeux. La transposition de pions en marins oppose hommes blancs et hommes noirs, permettant de qualifier un jeu de raciste si les blancs doivent l'emporter. Les principaux éditeurs de jeux de cette époque comme Mauclair Dacier, Simonin-Cuny, NK Atlas, Villard&Weil ont tous repris ce jeu...alors tous des racistes ? En 1880 il est encore communément admis que l'humanité se divise en 5 races principales, et être raciste c'est considérer que certaines races sont inférieures aux autres... 

Dans un procès à charge l'on pourrait citer l'illustration de la boîte de ce jeu, pas très flatteuse et sans rapport avec le casse-tête fil-de-fer qu'elle contient...

Le jeu du Congo dans lequel deux joueurs rivalisent pour planter leur drapeau sur le sol africain inspire à Watilliaux une diatribe savoureuse dans laquelle colons et roitelets africains sont moqués à  égalité :

Une chose est sûre, c'est que Watilliaux a le sens de l'humour !

Dans le jeu Quatre à Quatre qui propose deux problèmes à résoudre les races humaines sont mises en scène.

Pour le premier problème les personnages (pions) doivent se regrouper par couleurs (races, chacun chez soi):

alors que dans le second  il faut se regrouper en formant quatre groupes multiraciaux (l'union des races)

Dédier le premier jeu à la ligue des patriotes ( fondée en 1882 par Paul Déroulède , mouvement pionnier du nationalisme français) et le second à Victor Hugo apôtre de la Fraternité Universelle,  voici qui confirme l'humour de Watilliaux et son sens de l'équilibre ! Le jeu est illustré par Henri de Sta (ci-contre un "boudiné", jeune élégant de l'époque )  

  Je crois qu'il ne faut pas chercher une idéologie dans les jeux de Watilliaux,  qui n'a pour but avoué que d'amuser la jeunesse tout en cherchant à l'intéresser aux choses de ce monde. Mais pour connaître les convictions idéologiques de Charles Watilliaux il est intéressant de se référer à un jeu dans lequel il se livre intimement. Il s'agit d'un jeu de familles dit "la Fée Vaillante" édité la dernière année de ce XIXème siècle :  

  Le jeu est un jeu de familles , chacune étant constituée de 5 cartes. Si des familles sont assez classiques comme les animaux ou les végétaux, d'autres sont plus rares voire rarissimes comme la famille des dons spirituels comprenant la religion, la raison, la famille et le patriotisme, la science et les beaux arts. Dans un très intéressant petit livret de plus de 80 pages accompagnant le jeu Watilliaux va livrer le fond de sa pensée, comme par exemple sur la religion: 

 Pour Watilliaux (je résume, texte intégral ci-après) : l'homme est un être essentiellement religieux...Dieu est un soutien immuable, un refuge indestructible... le vrai sage met sa confiance dans ce protecteur incomparable.. Nous chrétiens croyons fermement à la révélation...Dieu a enseigné à l'homme ce qu'il doit croire et pratiquer... certains traversent une vie languissante et inutile au lieu de s'employer à soulager les déshérités, le plus grand nombre mène une vie de labeur privés de la consolation des récompenses éternelles...   L'homme soumis à Dieu ignore ennui et cupidité et connait l'espérance...

   Watilliaux se déclare donc profondément chrétien, attaché aux valeurs spirituelles; il se montre attaché à la famille , modèle de toutes les sociétés (l'homme est heureux du bonheur qu'il procure à ceux qu'il aime ) et il  se veut patriote . Ces confidences sont tout à fait inhabituelles et sans équivalent chez les éditeurs de jeux, mais elles nous permettent de juger de la valeur morale du plus productif d'entre eux. Que ceux qui veulent le juger le fassent, mais  en tenant compte de la période pendant  laquelle il vivait , et non avec nos mentalités actuelles. 

Ce texte n'est pas généré par une IA... pour la bonne raison que si l'on interroge chatGPT sa réponse utilise comme seule source notre site  (et un site s'en étant lui-même inspiré) ! ceci confirme la regrettable vacance documentaire sur les éditeurs de jeux...