E. SERRE, la signature discrète des jeux SAUSSINE
Pour rendre leurs jeux attractifs et attirer l'attention des enfants une belle illustration est importante et les éditeurs de jeux ont recherché le concours de dessinateurs talentueux. Léon Saussine s'est ainsi assuré le concours de Bernard Coudert, de Ludovic Lévy, de Scherer et de Kerhor. Au début du XXème siècle la maison Saussine a fait appel à Raoul Vion mais surtout au jeune lithographe Eugène Serre dont un oeil exercé pourra trouver la discrète signature en lettres minuscules en bas à gauche de la planche "En Aéroplane" ci-dessus. Si le bas des illustrations mentionne souvent le nom de l'éditeur et de l'imprimeur-typographe le dessinateur est peu mis à l'honneur, se contentant souvent d'initiales ou d'une petite signature . Ci-dessous la signature E. Serre apparaît dans l'herbe, tout à gauche à hauteur de la chaussette du chien-fermier :
Illustrer des jeux ne conduit pas à la célébrité, et les recherches sur le net ne font apparaître que Claude Serre, dont les dessins d'humour noir nous ont fait sourire ou grincer des dents dans les années 1960. Nous restions dans l'ignorance totale de la personnalité d'Eugène Serre mais, pour un mémoire de fin d'études en conservation restauration du patrimoine à l'Ecole de Condé, Aurélie Desachy a conduit des recherches qui se sont avérées fructueuses, et nous en publions ci-après des extraits relatifs à la biographie d' Eugène Serre.
Né le 12 septembre 1881 à Thonon-les-Bains, Eugène Serre vint ensuite à Paris avec ses parents. Après son certificat d'études, vers l'âge de onze ans, il fut placé comme apprenti chez un tapissier. Cependant, aussitôt rentré chez lui il aidait son père, alors coiffeur à Paris. Un jour alors qu'il nettoyait les vitres du magasin, il en profita pour dessiner avec la poudre de blanc d'Espagne qui lui servait pour le nettoyage. Un client du salon fut alors frappé par ce que le jeune garçon dessinait, lui trouvant du talent, il lui proposa d'apprendre le métier de lithographe. En 1907 il épousa Adèle Lemaire et ils eurent deux filles, Henriette et Louise.
Au début de sa carrière , il travaillait en atelier jusqu'au jour où il décida de s'installer à son propre compte. Il exerça son métier chez lui, d'abord dans un petit logement près du canal St-Martin, puis dans un appartement de la rue Grange-aux-Belles, face à l'Hôpital St-Louis. Sa fille Louise se souvient d'un "couloir encombré de nombreuses et souvent grandes pierres appuyées le long du mur"
A la déclaration de la Première Guerre Mondiale en 1914 il fut mobilisé dans l'artillerie. Rentré chez lui en 1919 il reprit son métier de lithographe. En 1928 la famille s'installa dans un pavillon à Villemomble (93) jusque dans les années 1952/53. Eugène Serre y avait installé son atelier et il possédait également sa propre imprimerie à Paris.
Son activité consistait à présenter à ses clients des croquis exécutés sur papier, qu'il reproduisait après validation en lithographie. Il dessina notamment des étiquettes pour des bouteilles de vin et des flacons de parfum, des publicités et bien sûr des illustrations pour les boîtes de jeux.
Eugène Serre travaillait également avec ses deux filles auxquelles il apprit le métier de lithographe. Sa fille le décrit comme un père "passionnant, parfois sévère, exigeant.. et parfois très drôle, toujours plein d'esprit assez caustique". Il avait "l'oeil moqueur et observateur"" et une prédilection pour la caricature.
Après la vente de la maison de Villemomble , Eugène Serre revint s'installer à Paris avec sa femme. Sa santé devenant de plus en plus fragile il fut hospitalisé à l'Hôtel-Dieu, puis atteint de tuberculose, il fut transféré au sanatorium de Liancourt dans l'Oise, où il s'éteignit le 3 septembre 1964.
Si le couvercle de ce coffret de LOTO COMIQUE (ci-dessus) est illustré par serre de façon assez classique, c'est très différent avec les cartons du jeu qui permettent au dessinateur d'exprimer ses talents de caricaturiste :
Est-ce l'exception qui confirme la règle, l'illustration ci-dessous malgré toutes les apparences (titre en rouge et noir) est celle d'un loto édité par JJF, pour une édition qui reprenait des cartons d'un jeu préalablement édité par MD (et non signés par le dessinateur) :
Le dessin de cette scène où hommes et animaux semblent partager la même liesse nous fait penser à un autre dessinateur contemporain de Serre : il s'agit de Benjamin Rabier (1864-1939) l'un des plus célèbres dessinateurs humoristiques animaliers du XXème siècle (Gédéon, "la vache qui rit"). Serre a pu être inspiré par les dessins de Rabier et la mode de l'anthropomorphisme, mais du moins dans une première période le style de Serre est différent, les dessins sont beaucoup moins dépouillés, les personnages évoluent dans un environnement touffu
(ci-contre illustration pour les "Histoires Naturelles " de Jules Renard, 1909 )
Le style de Serre évolue dans le temps et le dessin devient beaucoup plus dépouillé:
La signature des dessins est toujours très discrète...
nous la retrouvons sur les illustrations suivantes :
Ci-après nous retrouvons le style des dessins de Serre sur ces jeux où nous n'avons pas retrouvé de signature:
Dans les années 1920/1930 la maison Saussine a produit de nombreux jeux de tir; les illustrations des décors ne sont pas signées, elles sont sans doute de Serre (images du net):
Le style et la qualité des illustrations des jeux sont pour beaucoup dans le succès que ceux-ci peuvent avoir, et Eugène Serre a contribué à créer un "style Saussine" pour les créations de cette maison dans les trente premières années du XXème siècle. Il aura fallu une adresse retrouvée dans les archives de la maison Saussine (musée du jouet de Poissy) pour permettre à Aurélie Desachy de trouver les éléments de biographie de ce dessinateur/ lithographe/imprimeur (et peintre) que nous avons cités ici, alors que même son prénom nous était inconnu! Nous espérons (naïvement) que d'autres études suivront, nous permettant de mieux connaître les artistes qui ont enchanté les enfants de la Belle Epoque...
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