le jeu de l'équipage décimé et ses copies, pas toujours conformes!
De type casse-tête et demandant pour tout matériel, en dehors de la fiche de présentation, seulement 16 pions blancs et 16 pions noirs, le jeu de l'équipage décimé a fait partie des coffrets de jeux réunis de tous nos éditeurs : Watilliaux, Mauclair-Dacier, Simonin-Cuny, N.K. Atlas, Villard&Well....Les copieurs agissaient à l'époque sans vergogne, mais pas toujours sans maladresses. Ce sont celles-ci qui vont nous permettre d'échafauder une petite histoire de ce jeu. Nous allons voir comment nous arrivons à la conclusion suivante : Watilliaux est le premier éditeur français de ce jeu, Mauclair-Dacier le copie aussitôt comme à l'accoutumée, puis les autres suivent...
Watilliaux débute la présentation du jeu en ces termes : " Un vaisseau français,appartenant au port d'Alger,est ballotté depuis plusieurs jours par une violente tempête, qui force l'équipage à se débarrasser d'une partie de sa cargaison. Le moment est proche où l'on va manquer de vivres. On décide d'un commun accord qu'il faut jeter à la mer la moitié de l'équipage pour sauver le reste. L'équipage est composé de 32 hommes, 16 blancs et 16 noirs.".
La présentation de Mauclair-Dacier est un peu différente, hormis le fait que son navire revenait du Congo :
Sur le vaisseau de Watilliaux la moitié de l'équipage devait être jeté à la mer...sur celui de M.D. l'on se contentera d'abandonner les malchanceux sur une chaloupe avec quelques vivres. Ce qui est sans doute gênant pour l'éditeur, c'est que le but du jeu est de faire en sorte que les sacrifiés soient les 16 noirs , ce qui a fait dire à certains que ce jeu est raciste ou immoral...
Comment se fait la sélection? Watilliaux explique "...tirer au sort en usant d'un moyen qu'on employait à Rome autrefois pour punir les soldats coupables de sédition ou de lâcheté et qu'on appelait la décimation (d'où le nom du jeu). Les 32 matelots étant placés sur un seul rang,on commencerait à compter par la gauche et le dixième de chaque dizaine serait sacrifié.Arrivé au bout du rang, on continuerait la dizaine entamée en recommençant par la gauche, et cela autant de fois qu'il faudrait pour faire sortir 16 hommes du rang."
M.D. et les autres éditeurs moins soucieux d'historique ne reprendront pas les termes de "décimation" ni de "sédition". Mais c'est au capitaine que nous allons nous intéresser car nous le verrons chaque virgule peut avoir son importance dans un texte...
Watilliaux écrit avec une pointe d'humour : Le capitaine, qui est blanc et français, par conséquent né malin, propose de tirer au sort...
La transcription par M.D., qui omet la malignité, est surprenante et maladroite :
Avec cette formulation on ne pourrait être français que si l'on est blanc ( = tous les français sont blancs), c'est pour le moins saugrenu ! L'éditeur NK Atlas reprend mot pour mot le texte précédent, à un mot près : son navire revient du Sénégal (et n'est donc pas le même !). Pour le capitaine il supprime une virgule ce qui change peu le sens :
Simonin-Cuny et V&W (ref 300/66) ont-ils été gênés par cette formulation, pour avoir coupé le texte de virgules qui en enlèvent tout le sens :
A la fin de la partie si vous avez réussi vous avez 16 noirs à la mer chez Watilliaux, vous avez 16 noirs abandonnés seuls sur une chaloupe chez les autres éditeurs, et vous n'avez toujours pas l'âge du capitaine qui n'est malin que chez Watilliaux !
Notons que seul NK Atlas a proposé une illustration pour son jeu...et que Watilliaux pour l'exportation a traduit son texte en anglais et en espagnol
Nous notons bien que: "The captain who was a white (and artful frenchman) proposed décimation" et que " El capitan que era blanco y francès, par consiguiente algo maligno, propuso que..."
Tous les éditeurs donnent la solution en bas de leur texte, mais seul Watilliaux donne un moyen mnémotechnique pour aider à se la rappeler ( seulement pour les petits malins!):
La prochaine fois il faudra ouvrir les yeux !